La Saint-Barthélemy 24 Août 1346 Le roi d’Angleterre,le Prince Noir,le roi de France dans le Vimeu

Édouard III, roi d’Angleterre

 

Une remarque que personne ne s’est peut-être encore avisé de faire, est celle-ci

Le mois d’août offre. cette particularité qu’il contient pendant sa période de trente et une fois vingt-quatre heures, les anniversaires des trois saints qui ont en France la plus grande célébrité, au point de vue historique et religieux. Ces trois bien heureux s’appellent saint Dominique, saint Bernard et saint Barthélemy. Il y a bien aussi saint Fiacre, dont la fête tombe le 30 mais son nom n’a aucune signification historique, et nous ne l’aurions pas cité sans la grève récente des cochers.

C’est une terrible trinité que celle représentée par le fondateur de l’Inquisition, par l’ennemi acharné d’Abélard, et par l’apôtre sous l’invocation duquel on plaça le massacre des Huguenots en 1572. Toutefois, si nous invoquons en tête de cet article, le souvenir de la Saint-Barthélemy, notre intention n’est nullement de raconter à nouveau la sanglante tragédie, qui coûta la vie à plus de cinquante mille hommes sur toute l’étendue du territoire. Tout ce qu’il y avait à dire sur ce sujet a été dit, et se trouve dans la mémoire de chacun.

Mais la date du 24 août rappelle un autre événement tout aussi considérable que l’assassinat de Coligny et de ses compagnons d’armes, car cet événement valut à la France cent années de guerres et de calamités de toutes sortes. C’est la trahison qui livra au roi d’Angleterre, Édouard III, la connaissance d’un gué, et lui permit, la veille de Crécy, d’échapper au cercle de fer qui enserrait son armée, et de remporter le lendemain sur la nôtre, cette désastreuse victoire, dont les suites furent si funestes.

Dans notre pays, les trahisons  s’oublient vite. On va voir ce que le crime d’un misérable paysan coûta à nos armes, et les amateurs de notes sur la Saint-Barthélémy pourront prendre celle-ci ce ne sera pas la moins intéressante

Édouard III, après avoir ravagé Verneuil Louviers, Pont-de-l’Arche, Vernon., Poissy et les environs de Paris, venait de traverser le Beauvoisis à la tête de trente mille hommes, pour se rapprocher des Flamands. Il faisait grande diligence, car il était vivement poursuivi par la formidable armée que Philippe de Valois avait réunie pour marcher contre l’envahisseur mais arrivé à Airaines, les ponts de la Somme étaient tous coupés. Embarrassée par l’énorme butin qu’elle traînait avec elle, l’armée ennemie était irrévocablement perdue.

Philippe VI de Valois, roi de France

 

Le roi d’Angleterre, dit Froissard, estoit très pensif à Airaines.il entendit la messe avant le soleil levant, et fit sonner ses trompettes de délogement. « Il traversa le pays de Vimeu et s’approcha d’Abbeville. Il brûla un gros village aux environs et vint gîter à l’hôpital d’Oisemont. Philippe de Valois; parti d’Amiens, était à une heure de l’après-midi à Airaines. » II y trouva des vivres en quantité, pain et pastes en four, vin en tonneaux et en barils, et beaucoup de tables mises, que les Anglais avaient laissées.

Les deux maréchaux d’Édouard, le comte de Warwick et Geoffroy d’Harcourt, descendus le long de la Somme jusqu’à Saint- Valéry, toujours pour s’enquérir d’un nouveau passage, revinrent le soir, dire à leur maître qu’ils n’avaient pas été plus heureux qu’auparavant. Si Philippe avait eu seulement l’avance de quelques heures ou si le gué de Blanque-Taque eut été mieux gardé, c’en était fait des Anglais.

Leur monarque et son armée qui avaient causé tant d’épouvante, ressentaient à leur tour, la terreur qu’ils avaient inspirée. Perdu de réputation comme général, méprisé comme roi, détesté comme homme, Édouard III allait finir

de la fin d’un aventurier et d’un incendiaire. La défaite devait en faire un chef sans mérite, sans prévoyance et sans courage le triomphe en fit un illustre capitaine, tant il est vrai qu’une circonstance des plus futiles peut transformer en gloire ce qui ne serait que honte. Il était nuit, mais personne ne dormait dans le camp anglais. Les uns regrettaient le butin qu’ils allaient perdre, d’autres, plus sensibles, versaient des larmes amères sur leur patrie, leurs femmes, leurs enfants qu’ils ne comptaient plus revoir. Les soldats qui avaient exploré la rivière en faisaient des récits effrayants et les poltrons croyaient déjà entendre les clameurs de l’armée française, qui s’était promis de ne faire aucun quartier à l’ennemi. Hâtons-nous d’ajouter que Philippe de Valois, nature chevaleresque au fond, n’eût point manqué de révoquer au milieu de la victoire ce serment prononcé dans la colère. Les chefs n’étaient pas dans de moindres transes. Acculé à la mer et retiré sous sa tente comme un fauve dans sa tanière, Édouard promenait de sombres regards autour de lui, qui s’attendrissaient à peine en tombant sur son fils. Le jeune prince de Galles, alors un adolescent imberbe, qui devait commencer le lendemain une carrière si funeste aux armes françaises, dormait d’un sommeil profond, revêtu de sa célèbre armure noire, qui rehaussait la pâleur de son teint.

Édouard de Woodstock, le Prince Noir

 

Avant de s’arrêter à une dernière résolution, Édouard fit assembler son conseil et amener devant lui des prisonniers du pays de Ponthieu et de Vimeu, auxquels il promit la liberté, si l’un d’eux pouvait lui enseigner un gué au-dessous d’Abbeville, où ses gens pussent passer sans danger.

Le hasard ou la mauvaise fortune de la France voulut que, parmi ces captifs, il se trouvât un valet, nommé Gobin-Agace. L’histoire qui retient tout, a subi la honte d’enregistrer son nom, et voici, d’après Froissard, la réponse que fit ce misérable au roi d’Angleterre:

« Sire, écoutez Au nom de Dieu, je vous promets et vous le jure sur ma tète, que je vous mènerai sûrement à un endroit, où vous passerez la rivière de Somme, vous et vos troupes, sans péril. Il y a un point ou douze hommes de front pourront franchir le passage, deux fois en une nuit, et sans avoir d’eau plus haut que les genoux. Lorsque le flux de la mer arrive, la rivière déborde de telle façon que nul ne pourrait la franchir; mais quand ce flux, qui a lieu deux fois entre le coucher du soleil et l’aube, s’est retiré, la rivière redevient si étroite et si basse, à l’endroit dont je parle, qu’il est facile de la franchir, à pied ou à cheval. « On ne peut exécuter cette opération autre part que là, excepté au pont d’Abbeville. Mais Abbeville est aux Français, suffisamment fortifiée et abondamment munie de gens d’armes. Le passage dont je vous parle, Monseigneur, a un fond de gravier blanc, fort et dur, qui peut supporter les plus lourds charrois, et c’est pour cela même, qu’on l’appelle la Blanche-Tache. »

On comprendra aisément avec Froissard, qu’en entendant les paroles du traître « Édouard III n’eût pas été plus content, quoique avare, si on lui eût baillé vingt mille écus, » et qu’il se soit empressé de répondre à Gobin-Agace « Compère! si je trouve vrai ce que tu dis, je te donnerai la liberté à toi et à tous tes compagnons, et je te baillerai cent écus nobles. »

Le prix de la trahison était un peu plus élevé que celui payé à Judas Iscariote, mais le disciple favori du Christ n’avait livré que son maître, tandis que l’ignoble Picard sauvait la vie, lui à trente mille ennemis de sa patrie. Gobin-Agace reprit

« Sire, je vous le promets au péril de ma tète mais ordonnez à vos gens d’être là sur la rive avant le soleil levant. » Volontiers, fit le roi d’Angleterre. Le pacte était conclu, passons à l’exécution

A minuit, les trompettes sonnèrent et on prit les armes. Au point du jour les Anglais quittaient Oisemont et commençaient à défiler. Geoffroy d’Harcourt et le traître Gobin-Agace dirigeaient la fuite de l’ennemi; le premier à la tête de l’avant-garde, le second en qualité de guide. Le soleil se levait comme on atteignait le gué, mais en arrivant au bord de la Somme, la joie des Anglais fit place à une terrible déception.

La mer était haute, le flux coulait à pleines rives, et de l’autre côté du fleuve, douze mille Français rangés en bataille sous le commandement du brave Godemar du Fray, défendaient le passage. Au bout de quatre longues heures, et Dieu sait par quelles angoisses durent passer les Anglais pendant ces quatre siècles, le, gué devint enfin praticable.

Édouard III donna le signal du passage, en commandant aux maréchaux Warwick et d’Harcourt de traverser la Somme, « bannière au vent, au nom de Dieu et de saint Georges; les plus valeureux et les mieux montés devant, » Le prince de Galles, qui commença ce jour-là à gagner ses éperons, se jeta des premiers dans l’eau, l’épée à la main.

Un furieux combat s’engagea dans le lit même de la rivière, et pour les Anglais, il s’agissait de vaincre ou de mourir, car sur la rive qu’ils quittaient, on apercevait déjà les coureurs de l’armée de Philippe.

Enfin, par un effort désespéré, Warwick et d’Harcourt atteignirent le bord avec quelques escadrons, culbutèrent les Français et gagnèrent un terrain où se formèrent les troupes Anglaises, au fur et à mesure qu’elles sortaient de l’eau. Les miliciens de Godemar du Fray prirent la fuite et l’entraînèrent dans leur déroute, malgré tous ses efforts pour les rallier.

La fortune d’Édouard était sauvée celle de la France devait être cruellement atteinte le lendemain.

Fidèle à sa promesse, le roi d’Angleterre fit amener devant lui le lâche Gobin-Agace, lui rendit la liberté, ainsi qu’à ses compagnons et lui fit donner « cent écus nobles et un bon roussin » L’âne dût être médiocrement flatté de porter un tel maître.

Il serait curieux de rechercher aujourd’hui si ce Gobin-Agace a laissé une postérité, et si l’or anglais fructifia entre ses mains et celles de ses héritiers. Peut être a-t-il été la source d’une des fortunes considérables, sinon considérées,qui existent encore en Picardie.

Henri Lutèce  Le Figaro, 25 août 1878

 

 

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