TALMEU

« Talmeu » : c’est ce nom nouveau – amalgame de Talou et de Vimeu – qui a été donné à ce bassin au milieu duquel s’écoulent la Bresle et lYères.

Au cours de l’histoire, on a souvent attribué à la Bresle un rôle de frontière :

  • Au temps des Gaulois : Le fleuve marquait la limite entre le territoire des Ambiens (qui donneront leur nom à Amiens) et celui des Calètes du pays de Caux.

 

  • Au temps des Romains : Le fleuve marquait la limite entre la province dite « Belgique » et la province dite « Lyonnaise ».

 

  • Fin du XXe siècle : Le fleuve marquait la limite entre la région Picardie et la région Haute-Normandie.

 

Faire fonction de « muraille de Chine », c’est beaucoup demander à ce petit fleuve qui, à Gamaches, se subdivise en plusieurs bras que l’on franchit sans s’en rendre compte.

La vraie frontière entre la Picardie et la Normandie serait plutôt la forêt d’Eu qui était un massif difficilement pénétrable avant que Louis-Philippe n’y fasse tracer de grandes allées forestières : la forêt du Quesne à Leu où deux enfants furent  estranglés du loup à Millebosc en 1695.

La forêt d’Eu est certainement une frontière linguistique. Pour les villages des coteaux normands de la Bresle – ayant dans le dos ces massifs inhospitaliers – la vie sociale se passait dans la vallée où l’on trouvait médecins, vétérinaires, pharmaciens, notaires, marchés ‘ed Mai… Dans les fermes et les maisons ouvrières de la forêt, on parlait donc le picard, la langue de la vallée : « moi et toi » s’y disait mi pi ti, comme en Vimeu, alors que l’on disait mè pi tè en pays de Caux. « Le» s’y disait Ch’ ou Chu et «La» s’y disait Chte.

Le Talou et le Vimeu ont de nombreuses caractéristiques communes :

  • Géologie : On trouve partout sous nos pieds une épaisse couche de craie qui offre en profondeur une nappe d’eau généreuse que les marneux vont atteindre, souvent au fond d’un puits de plusieurs dizaines de mètres.

 

  • Topographie : Tous les plateaux des deux régions sont largement entaillés de vallées sèches.

 

  • Sols agricoles : Les sols sont crayeux sur les buttes et les coteaux ; ils sont aussi recouverts d’argile à silex valorisée par l’herbage ; ou ils ont – pour les plus chanceux– bénéficié d’apports de limons éoliens propices aux grandes cultures (blé et betteraves à sucre pour les hommes, avoine pour les chevaux, betteraves fourragères ou vesce-avoine –appelée dragie en Talou, hivernache ou warats en Vimeu – pour les vaches, cultures maintenant remplacées par l’orge, le colza, les pois fourragers ou le maïs).

 

  • Climat atlantique : Le climat est plutôt frais et humide, offrant les conditions idéales pour la culture du lin.

 

En réalité, le vrai facteur de différenciation entre le Vimeu et le Talou est d’ordre politique :

  • La région du Talou était cette marche de la Normandie que le Duc avait confiée au Comte d’Eu. Il y avait donc un seul chef pour maîtriser ce patrimoine – principalement forestier – propice à la chasse et source de lucratives ventes de bois aux fourneaux des verreries. Les prélèvements de bois de chauffage par les particuliers y étaient réglementés par des droits d’usage.

 

  • La région du Vimeu était partagée entre une multitude de petits seigneurs désargentés – quasiment un par village – qui étaient incapables d’éviter le déboisement et la parcellisation des terres. À défaut des  petits métiers de la forêt, les pauvres ménagers y ont souvent trouvé des ressources dans les petits métiers de la lime: la serrurerie et la robinetterie.

 

Le Talmeu sera donc un lieu d’échanges commerciaux. Ainsi, l’industriel du Vimeu vient acheter en forêt d’Eu de pleins camions de ces mannes légères et solides dont il a besoin pour déplacer quantité de ces petites pièces de laiton à ébarber au sortir du four. Quant aux villageois du Talou, ils achètent les serrures du Vimeu, portent leur lait à la laiterie de Monchelet et leur blé aux établissements agricoles de Gamaches. Tous bénéficient de la force de l’eau de la Bresle pour écraser dans les moulins à eau le blé, l’huile et le tan, pour fracturer les cailloux ou pour faire tourner des machines… et, plus tard, pour produire ce courant électrique qui fera entrer le Talmeu dans la modernité.

Francis Heux