En suivant le grand chemin qui conduit de Richemont aux Jeunes-Landes, on trouve un carrefour où l’on a placé un calvaire au milieu d’un groupe de hêtres; ce lieu est communément appelé le Poteau-de-l’Ermitage.
Il parait que les paroisses voisines venaient autrefois en procession à cet endroit, où l’on voit encore des traces de fossés, qui sembleraient indiquer l’ancienne enceinte de l’ermitage.
Aujourd’hui, par un de c’est, travers d’esprit qu’on ne peut s’expliquer, les femmes des environs viennent faire leur prière auprès du calvaire; et, après avoir jeté un sou ou deux dans l’herbe, elles s’en retournent persuadées que les gardes ne les surprendront point en délit forestier.
Nous terminerons cet article par une anecdote qu’on nous a raconté en passant auprès du Poteau-de-l’Ermitage.
Le comte d’Eu, ayant été averti que l’ermite de la basse foret ne se faisait pas scrupule de s’approprier les lièvres de son quartier, voulut s’assurer du fait, et eut recours au stratagème suivant.
Étant un jour en chasse avec plusieurs seigneurs des environs, il remit un lièvre au bon solitaire, en lui disant que, la chasse devant être longue, il le priait de faire cuire ce lièvre pour le retour.
L’ermite fut très-surpris de cette demande ; et, après avoir longtemps réfléchi, il se dit que ce pourrait bien être un piège.
De son côté, le comte d’Eu se disait : « S’il prépare bien mon lièvre, je lui demanderai où il a appris l’état de cuisinier, lui qui ne doit se nourrir que d’herbes et de racines. »
Cependant, le moment du retour de la chasse approchait, et le bon ermite dut prendre une résolution.
À l’heure dite, tous les chasseurs furent fidèles au rendez-vous, animés du désir de savoir comment l’ermite se tirerait de là ; car les gardes les avaient assurés qu’il était coupable de nombreux léporicides.
Mais le coupable avait eu une inspiration ; au lieu de présenter un succulent civet au comte d’Eu, il découvrit une marmite pleine d’eau dans laquelle gisait cuit le lièvre avec sa peau et ses intestins.
Alors tous les chasseurs poussèrent un long éclat de rire.
Pardon Monseigneur, dit benoitement le vieil ermite au compte d’Eu, je m’aperçois que ma cuisine n’est pas à votre gout, mais je n’ai pu mieux faire.
Je suis content de vous, bon ermite, je vois qu’on m’avait trompé sur votre compte, celui qui mangerait du lièvre tous les jours le mettrait à meilleure sauce que vous venez de le faire.
J.-E. Decorde