la Sylphide de la forêt d’Eawy

la légende de cette jeune fille de
bonne famille, bon chic bon genre dirions-nous aujourd’hui, pas frivole pour un
sou et chouchoutée par une gouvernante qui lui enseignait les préceptes de la
morale et de la religion.
Orpheline de mère, cette demoiselle demeurait dans un château qu’elle
quittait parfois pour trottiner dans les sous-bois apaisants. Un jour d’automne,
alors que le soleil couchant dardait ses derniers rayons sur les cimes diaprées, la
princesse se rendit en forêt. Son éducatrice ne vit pas d’un très bon œil cette
promenade vespérale.
— Je vais méditer quelques instants sur la tombe du bûcheron tué l’année
dernière et reviens aussitôt.
— Sois prudente. Méfie-toi des rôdeurs…
La jeune fille disparut dans la galaxie verte que le crépuscule obscurcissait,
marchant droit vers le cénotaphe élevé à la mémoire d’un forestier écrasé par un
tronc d’arbre.
Une demi-heure passa. Et la duègne commença à s’inquiéter. Puis une heure.
La nuit était tombée. L’inquiétude grandissait. Que pouvait-il être arrivé à cette
demoiselle ?
— Monsieur le Comte, votre fille est partie au bois il y a une heure et n’en est
toujours pas revenue…
Le père ne s’émut point et alla retrouver son lit. La gouvernante veilla toute la
nuit mais alors que le coq de la ferme attenante venait de pousser son
« cocorico », la demoiselle n’était toujours pas rentrée.
On eut beau arpenter les fourrés de la forêt d’Eawy, rien n’y fit. Les bûcherons,
charbonniers et paysans entendirent bien des cris semblant provenir d’entrailles
féminines, de longs mois durant, personne ne revit la fille du comte décédé
plusieurs semaines après la disparition de son unique enfant.
Mais voilà qu’au mois d’août suivant, à l’époque où les gens de la terre
ramassaient le blé, un jeune faucheur, traversant une parcelle de la forêt afin de
raccourcir la distance, entendit des cris plaintifs. Et son oreille l’amena jusqu’à la
source de ces gémissements : une grotte perdue dans les bois et inconnue de
tous, même des anciens du pays. Là, le jeune homme découvrit un spectacle
étonnant : la jeune fille, neuf mois après son départ, venait de pondre un œuf
orné de plumes…
Stupéfait, le faucheur galopa jusqu’au village où il narra son aventure. Bien
sûr, tous ses auditeurs se montrèrent incrédules, traitant le jouvenceau de
farfelu ayant moissonné son imagination.
Et chacun ne daigna se déplacer pour constater sur place la véracité de ses
propos. Seul le dévoué curé de la paroisse voulut en savoir plus et fut ébaubi de
voir le spectacle de cette bien particulière parturiante. Alors, toute la
communauté des habitants du village et des localités voisines se rendit à la grotte.
On ne sait pas ce qu’il advint de cette amazone que les riverains baptisèrent la
Sylphide ni de son œuf. Mais certaines langues prétendirent que depuis son
éclosion un gnome peuplait la planète, monstre qui ressemblait étrangement à
Monsieur le Comte…

 

Source: Bois et forêts de Normandie
De Jean-Marie Foubert

 

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