À la jonction de la rue de l’échevinage et de la rue du béffroy(1) maintenant appelé rue Jules Ferry, il existait un antique marronnier dont les racines baignaient dans la Vimeuse (qui coule souterrainement aujourd’hui), la tradition affirme qu’il fut planté à l’occasion de la paix entre Henri IV et Philippe II, roi d’Espagne, en 1598.(La paix de Vervins, qui met fin à la guerre franco-espagnole de 1595-1598, est signée le 2 mai 1598 à Vervins (actuel département de l’Aisne) Entre le roi de France Henri IV et le roi d’Espagne Philippe II)
Darsy fait remonter cet arbre à 1600 (2) l’examen des couches concentriques d’un bras brisé par la tempête confirma la tradition.
15 octobre 1595 François de Rouault seigneur et marquis de Gamaches, frère de Nicolas II mourut cornette-blanche (3) en combattant pour le roi Henri IV dans l’armée du duc de Bouillon, au siège de Doullens.
En 1596 et 1597, la peste faisait des ravages dans Gamaches en deux ans, on compte 356 victimes pour une population de 700 à 800 personnes.
Pendant les années 1596 et 1597, les habitants de Gamaches s’occupèrent de réparer les murailles et les portes de la ville.
Pour consacrer la paix retrouvée, la délivrance des maladies, quelle meilleure occasion pour planter un arbre nouveau qui au centre de la cité entre l’échevinage et le beffroi et à proximité de la petite halle en chêne (elle mesurait 17 mètres de longueur sur 7 mètres de largeur et servait pour les marchés aux grains et aux légumes dès mardi et samedi.) fera figure de monument vivant destiné a rappeler ces durs événements aux générations futures.
Fut-il obtenu à la demande du puissant seigneur de Gamaches Nicolas Rouault ? Si tous ces faits sont avérés, ce marronnier est alors le premier de France (4).
Pendant la révolution, l’arbre faillit être abattu preuve qu’un souvenir royal s’attachait à lui ! Déjà, ses branches étaient tombées lorsque la population s’en émut et demanda vengeance.
Le maire Clément, sur la réquisition du procureur de la commune, condamne le délinquant à la restitution des branches et aux frais. (10 décembre 1792)
En mars 1870, le Conseil municipal vote la mort du marronnier à la très faible majorité d’une voix sur neuf votants.(les coups de vent des dernieres années l’avait beaucoup endomagé)
L’acquéreur qui a déboursé 61 francs pour l’arbre sous la condition qu’il soit abattu ne se presse pas pour l’abattre, il espère toujours que l’on reviendra sur cette décision, il sera lui-même heureux de résilier son marché tous comme la population de Gamaches qui désire conserver son marronnier.
Plan de Gamaches pour la Construction d’une remise pour les pompes a incendie 1863, on peut apercevoir le marronnier juste a coté. AD80
Après la guerre, franco-allemande de 1870 a 1871 l’arbre dont l’état, c’est considérablement aggravé menace de tombé sur les bâtiments voisins, après sommation officieuse de l’administration (il faut dire qu’un ancien maire de Gamaches age de 86 ans habitait en face de l’arbre.) l’acquéreur du vieux marronnier s’empressa de conjurer le danger en abatant l’arbre.
Le marronnier en 1870 avait une circonférence à un mètre du sol de sept mètres et dix centimètres, il couvrait de son ombre une surface de quatre cents mètre carrés.
La population qui ne voulait pas voir mourir son arbre, protesta violemment dès 1870.
Avec un article dans Le Courrier de la Bresle en mars 1870 François-Irénée DARSY s’éleva pour évoquer les traditions millénaires, il ressuscita l’hamadryade (5) antique dans le but de faire peur au bucheron et de retardé le plus possible l’inévitable. Le marronnier sera finalement abattu en 1872.
« Jadis, une fée présidait à la naissance des princes, et même a celle des enfants du peuple qui était destiné a de grandes choses. Il en fut ainsi, dit-on, et cela arrivait parfois, pour le marronnier de la petite ville de Gamaches. Cette fée, dont le nom n’est point parvenu jusqu’à nous, veilla à la plantation de cet arbre bien rare alors, sinon unique en France.
Elle l’entoura toujours, dans son jeune âge, comme dans sa vieillesse, d’une protection attentive.
C’est elle qui souleva cette émotion populaire qui en 1792 chassa les mercenaires armés de haches qui déjà commençaient l’œuvre de destruction.
Nous pourrions rapporter d’autres circonstances de cette protection incessante, que nous avons lues dans l’écrit que nous allons parler.
Bornons-nous à une seule.
« Un soir, a la suite de je ne sais quel complot tramé contre cet arbre cher a vos pères, auquel il rappelait leurs libertés communales, la fée sa protectrice, sous la figure d’une vielle sorcière, qui habitait la rue Tournecoeffe, les cheveux en désordre, les bras tendus et la bouche écumante, jetait à la foule rassemblée sous l’immense feuillage les plus violente imprécations. »
Ses paroles ont été recueillies par un témoin oculaire, et nous avons l’heureuse chance de les découvrir dans un vieux manuscrit, à moitié rongé par les vers, qui faisait partie des paperasses d’un ancien procureur du lieu.
Ce manuscrit nous a révélé une foule d’autres anecdotes curieuses sur les mœurs de nos pères et les événements de la localité.
Nous en extrairons quelques-unes à l’occasion.
Voici les paroles de la fée, que nous avons copiées textuellement sans rien changer que quelques mots du vieux langage, que les lecteurs n’auraient pu comprendre.
« Malédiction ! vengeance sur tes ennemis, sur quiconque oserait attenter à tes jours, arbre chéri ! Que ta sève abondante retombe à flots sur leurs têtes dénudées, qu’elle les végétalise et que dans sa juste colère, le Grand Sylvain, l’illustre Dieu des forêts change leurs pieds en racines cagneuses, leurs bras en branches contournées,
Qu’il allonge leurs oreilles en un épais feuillage et, que chaque pustule de leur nez devienne un marron à l’enveloppe épineuse que les enfants abattront en automne de leur gaule impitoyable»
Cette boutade eut pour effet de suspendre la hache du bûcheron pendant deux ans. Mais enfin, l’arbre fut dépecé sans vergogne et jeté au feu. Il ne sera plus qu’un souvenir.
La municipalité de Gamaches veut remettre le patrimoine architectural historique de la commune en avant, mais aussi de faciliter l’adaptation de la ville au changement climatique avec de nouveaux aménagements.
Pourquoi ne pas profiter de ces aménagements sur la place du petit marché pour planter à nouveau un marronnier a la mémoire de son illustre ancêtre et par la même occasion inclure au projet des affichages résument l’histoire des lieux !
(1) On voyait autrefois à Gamaches un beffroi, ce signe de l’autorité dévolue à la commune. C’est là que pendait la cloche qui appelait les échevins aux assemblées et convoquait les bourgeois dans les occasions solennelles. Il n’en reste plus trace; seulement la rue où il s’élevait en porte encore le nom. L’ancien échevinage ou hôtel-de ville était voisin.
(2) Gamaches et ses seigneurs. Darsy
(3) cornette-blanche « C’estoit un estendart sous lequel les Rois avoient accoustumé de combattre en un jour de bataille, & l’Officier qui a droit de la porter, s’appelle encore aujourd’huy, Cornette-blanche de France.
On appelle aussi dans la Cavalerie, Cornette-blanche de Mestre de Camp du Regiment Colonel. Et l’Officier qui la porte s’appelle simplement, Cornette de la Mestre-de-Camp. » Dictionnaire de l’Académie française, 1re édition (1694)
(4) Le premier marronnier importé en France fut planté, à Paris, au jardin de Soubise en 1615 par un certain bachelier, et le second au jardin des Plantes, en 1656, et il est mort dans l’hiver de 1766 à 1767, le troisième fut planté au jardin du Luxembourg. Jean Pierre THÉNOT 1834
(5)sont des nymphes des arbres. Elles sont comparables aux dryades, sauf qu’elles sont liées à un seul arbre, et meurent avec lui s’il est abattu.
(6) Article de Darsy Le Courrier de la Bresle 13 mars 1870/La Picardie 1874